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Redécouvrir Der Freischütz
07/03/2019

Redécouvrir Der Freischütz

Patrick Lange, chef d'orchestre


Par CL

S’il est un opéra qui a marqué en profondeur l’histoire de la musique allemande au début du XIXe siècle, c’est bien Der Freischütz de Carl Maria von Weber. Conte fantastique où la forêt exprime des puissances inconnues, oeuvre initiatique qui se clôt par la compréhension et le pardon, profonde histoire d’amour, tout dans cet opéra qui marqua tant Berlioz, Wagner et Debussy frappe par sa richesse et ses audaces musicales. Le chef d’orchestre Patrick Lange fait avec cette nouvelle production ses débuts à l’Opéra national du Rhin à la tête de l’Orchestre symphonique de Mulhouse.


Comment résumeriez-vous en quelques mots l’artiste Carl Maria von Weber ?

Carl Maria von Weber a été l’un des compositeurs allemands les plus importants du XIXe siècle et un pionnier (« Wegbereiter ») dans le domaine de l'opéra romantique allemand. Sans lui et son travail, le développement du théâtre musical qui aboutira à Richard Wagner est impensable.

Que représente Der Freischütz dans l’histoire de la musique ?

Avec Der Freischütz, Carl Maria von Weber a inventé un nouveau genre : l’opéra romantique allemand. Toujours avec des dialogues entre les numéros musicaux, à l’instar d’un « Singspiel », mais avec des effets beaucoup plus dramatiques que le mélodrame (le fameux épisode de la Gorge-aux-loups – Wolfsschlucht – en est un exemple bien sûr). À la fin du XVIIIe siècle, certaines facettes de la littérature et des beaux-arts en Allemagne étaient caractérisées par un romantisme noir (« Schwarze Romantik », « Schauerromantik »). Weber a écrit le premier opéra dans cet esprit et il a touché le nerf vif de toute une génération. Les Allemands recherchaient une identité allemande commune. L’Allemagne que nous connaissons aujourd’hui n’existe que depuis la fondation du Reich, en 1871, cinquante ans après l’écriture du Freischütz par Weber. Avec cet opéra, le compositeur offrit une contribution essentielle à un pays qui cherchait une sorte d’âme commune. Peu de temps après la première, Heinrich Heine a écrit avec ironie que personne ne pouvait ignorer cet opéra car dans les rues de Berlin, tout le monde chantonnait le Jungfernkranz. Weber a vraiment créé un tube au retentissement énorme à l’époque ! Quels sont les éléments musicaux qui vous frappent le plus dans cet opéra ? Certainement l'épisode de la Gorge-aux-loups. Intégralement placé sous le signe du « romantisme noir » que j’évoquais, Weber a mis en musique les éléments du pouvoir surnaturel, de l’énergie démoniaque et de la fantaisie. Il y a du texte sur la musique, l’orchestre doit réussir à jouer à la fois de manière énergique et mystérieuse. Et comme nous le savons des lettres de Weber, également en 1821, il est vraiment à la recherche d’effets théâtraux. La musique soutient le visuel.

En France, cet opéra extraordinaire est rarement mis en scène. Avez-vous une idée de la raison d'un tel manque d'intérêt ? Y a-t-il quelque chose qui soit si « allemand » qu'il ne puisse être compris qu'avec quelques difficultés à l’étranger ?

Pour être franc, même en Allemagne, Der Freischütz n’est plus joué aussi souvent aujourd’hui. Une approche superficielle peut l’expliquer en partie : des dialogues parlés qui sont souvent une difficulté à l’opéra aujourd’hui, certaines actions qui peuvent apparaître par trop simplistes mais qui ont enthousiasmé le public au XIXe siècle, la caractérisation des principaux protagonistes. Peut-être aussi l'élément essentiel de la forêt pour le romantique allemand qui raisonne moins aujourd’hui. Tous ces points font de cette oeuvre un opéra qui ne répond sans doute pas immédiatement aux critères de la modernité. Et pourtant ! Prenons cette question importante, essentielle même : « jusqu'où irions-nous pour atteindre ce que nous désirons ? » N’est-elle pas à notre époque plus actuelle que jamais ! En ce qui concerne Der Freischütz et son appréciation en France, disons que les dialogues parlés le rapprochent davantage du genre de l’opéra-comique. Au XIXe siècle, les conventions du « grand opéra » exigeaient que chaque mot d’un drame tragique fût mis en musique. C’est la raison pour laquelle Hector Berlioz, immense admirateur du compositeur allemand, a écrit pour l’oeuvre de Weber, en 1841, quinze ans après sa mort à Londres, des récits, en français bien sûr car la création à Paris de l’opéra devait être donnée comme de coutume à l’époque en français, pour remplacer les dialogues parlés. Une autre tradition du « grand opéra » était d’introduire un ballet sous forme d’entracte. Pour cette raison, Berlioz, qui refusait que soit ajouté au Freischütz une note qui ne fût de Weber, a proposé une instrumentation du rondeau pour piano « L’invitation à la valse » (Aufforderung zum Tanz) de 1819. Entre 1841 et 1846, l’Opéra de Paris a donné plus de 50 représentations de cette version de Berlioz /Weber du Freischütz qui connut un énorme succès.

Vous avez eu l’occasion de collaborer à Stuttgart avec Jossi Wieler et Sergio Morabito lors de la reprise de leur production de Fidelio de Beethoven. Comment pourriez-vous décrire en quelques mots leur approche de la musique ?

Ils sont tout simplement merveilleux ! Ils travaillent avec un grand respect pour la pièce et la musique. Ils cherchent vraiment à comprendre tous les ressorts d’une oeuvre, ils en explorent toute la profondeur. Je ne peux pas imaginer une meilleure équipe pour cet opéra et j’attends avec impatience nos répétitions.

Deux questions plus personnelles sur votre parcours artistique maintenant. À quel âge avez-vous appris la musique et qu’est-ce qui vous a conduit à la direction d’orchestre ?

À l'âge de 8 ans, j'ai commencé à faire partie de la chorale de garçons du Regensburger Domspatzen (sous l’autorité, en tant que directeur musical, de Georg Ratzinger, frère de l’ancien pape). À 12 ans, je savais que je voulais devenir chef d'orchestre (mais pas d’une chorale, non, j’étais devenu « accro » aux couleurs d'orchestre !). C’était une intime conviction. Je ne pouvais imaginer faire autre chose de ma vie. À l’âge de 15 ans, j'ai commencé à suivre des cours professionnels. À 16 ans, j'ai dirigé ma toute première production de théâtre musical à l’Opéra de Ratisbonne. Après mes études, j'ai étudié à Würzburg et à Zurich, puis j’ai été chef assistant du Gustav Mahler Jugendorchester, et l’assistant de Claudio Abbado. J’ai ensuite obtenu mon premier poste de Kapellmeister à la Komische Oper de Berlin, avant d’en devenir, à partir de 2010, le directeur musical. J’ai connu ensuite une vie de nomade, faite de voyages à travers le monde en tant que chef d'orchestre. Depuis 2017, je suis le Generalmusikdirektor au Hessisches Staatstheater Wiesbaden.